En fin de séjour, Louis-Marie Bouaka, Représentant Régional du Haut-Commisariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme (HCDH) et Directeur du Centre des Nations Unies pour les Droits de l’Homme et la Démocratie en Afrique Centrale (CNUDHD-AC) fait le point sur la situation dans la sous-région.
Louis-Marie Bouaka, Représentant Régional et Directeur du Centre des Nations Unies pour les Droits de l’Homme et la Démocratie en Afrique Centrale(CNUDHD-AC).
« On ne peut pas dire que les droits de l’homme sont respectés à 100 % dans notre sous-région »
Entretien réalisé par Joseph Fajong & Florette Manedong
Monsieur le Représentant Régional et Directeur du CNUDHD-AC, quel est votre état d’esprit ce matin ?
Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue. C’est toujours un plaisir de recevoir mes amis des médias. Je suis constant, je suis bien dans ma tête parce que j’ai des tâches à faire, j’ai beaucoup de directives à donner et je continue d’exercer mes fonctions comme si je ne partais pas demain en retraite. Je suis zen.
Comment vous sentez-vous à l’approche de la fin de votre carrière ?
Je suis très enthousiaste de partir parce que ce n’est pas donné à tout le monde. J’ai connu des amis qui ont perdu soit leur emploi, à cause des sanctions disciplinaires à quelques mois de leur départ en retraite, j’ai connu aussi d’autres qui sont décédés avant d’aller à la retraite. C’est une grâce, après plus de 27 ans de travail, d’aller se reposer.
Vous quittez le Cameroun après une longue carrière dans le domaine des droits de l’homme. Quel est le sentiment global qui se dégage de tant d’années de service à divers endroits ?
De manière générale, j’ai le sentiment que de plus en plus, les dirigeants prennent conscience des défis et des perspectives des droits de l’homme. Il est vrai qu’ils n’y mettent pas assez de moyens, mais la question des valeurs des droits de l’homme prend de l’ampleur. Aussi, il y a l’émergence des ONG qui travaillent sur des thématiques bien précises pour mettre vraiment en évidence certaines spécificités des droits de l’homme. Il y a également le grand défi de l’impunité et surtout de la réparation des dommages causés aux victimes, le problème d’accès à la justice, le grand problème des droits économiques, sociaux et culturels, puisque la question des droits de l’homme ne se résume pas seulement en termes des droits civils et politiques.
Quand on regarde votre profil académique et professionnel, tout tourne autour du droit international et des droits de l’homme, pourquoi le choix de cette carrière ?
Initialement j’aspirais à une carrière diplomatique lorsque j’étais étudiant, puisque j’étais influencé par les questions internationales. Il y avait à l’époque la Une sur les questions de l’Israël, des problèmes au Proche Orient et Moyen-Orient, tout un tas de ballets diplomatiques. Les Secrétaires Généraux des Nations Unies Kurt Waldeim (Autriche) qui a servi du 1er janvier 1972 au 31 décembre 1981 et Javier Pèrez de Cuèllar (Pérou), qui a servi de janvier 1982 à décembre 1991 faisaient la Une des médias sur ces questions. Au niveau de l’Afrique, il y avait des problèmes de l’autodétermination des Peuples, entre autres, les problèmes du Front Polisario, de la Namibie et le grand mouvement des pays non alignés. J’en étais très passionné mais je n’entendais pas la voix de la République Centrafricaine, parce que je suis centrafricain et je me disais que peut-être qu’on n’avait pas de spécialistes sur les grands problèmes diplomatiques contemporains. C’est à partir de là que ma vocation est née.
Pouvez-vous nous dire comment vous êtes entré dans le système des Nations Unies et précisément au CNUDHD-AC ?
C’est une longue histoire. Après mon DEUG à l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville et ma licence en droit public à l’université de Bangui, je suis allé en 1984 à l’université de Montpellier en France, pour continuer mes études en droit. L’ONU avait déclaré 1986, comme étant l’année internationale de la paix. L’Université de Montpellier avait organisé un voyage d’études d’une semaine à Genève en collaboration avec le Centre des Nations Unies pour les Droits de l’Homme qui est devenu aujourd’hui Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme. Il y avait toute une série de conférences sur droits de l’homme et paix, désarmement et paix, développement et paix. L’envie d’une carrière internationale s’enracinait de plus en plus en moi. Après mon Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) en droit international, je m’étais inscrit à l’institut international de recherches pour la paix à Genève (GIPRI-Geneva Gnternational Peace Research Institute), qui donnait des cours d’été sur les droits de l’homme et le droit international humanitaire. Les trois meilleurs de la promotion étaient admis d’office en stage à la division droit et doctrine du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) pour approfondir le droit de Genève de 1949. Ce fut mon premier stage. Quelques années après, j’ai obtenu une bourse de stage au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) à Genève dans le but d’approfondir le droit de Genève de 1951. J’ai découvert l’humilité et l’élégance des fonctionnaires internationaux. Grace au HCR, j’ai participé au plus grand colloque sur le noyau intangible des droits de l’homme à Fribourg en Suisse du 23 au 25 novembre 1989. Depuis lors, j’ai opté pour le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire. J’ai pris comme sujet de doctorat, la protection fonctionnelle des Agents du système des Nations-Unies. Parce qu’au cours de notre premier voyage d’études à Genève, on avait vu la manifestation des fonctionnaires internationaux entre 12h et 14h qui réclamaient le retour de leur collègue à Genève, monsieur Bota, empêché de quitter son pays la Roumanie après ses vacances. C’était un problème d’indépendance des fonctionnaires internationaux vis-à-vis de leurs pays d’origine. Je me suis dit, mais tiens ! Ces fonctionnaires qui bénéficient des privilèges et immunités diplomatiques sont en grève ! Il doit avoir un malaise quelque part. J’ai décidé d’en savoir plus en choisissant mon sujet de thèse sur eux. Cela m’a donné l’opportunité au cours de mes recherches de côtoyer certains hauts fonctionnaires des Nations Unies à Genève, les membres du bureau de la Fédération des Associations des fonctionnaires internationaux et aussi monsieur Bota en question. Après la soutenance de mon doctorat en 1992, le génocide au Rwanda a éclaté 2 ans après soit en 1994. Un collègue de l’institut international de recherches pour la paix m’a informé que le Centre des Nations Unies pour les Droits de l’Homme à Genève (l’ancêtre du HCDH) recrutait des juristes pour les déployer au Rwanda. J’ai donc envoyé mon dossier et j’ai été appelé à Genève pour passer l’entretien. J’ai signé mon premier contrat le 14 novembre 1994 pour trois mois, mais c’est le plus long contrat qui va se terminer le 31 mars 2022 après 27 ans et 4 mois de loyaux services.
J’ai donc servi successivement au Rwanda, en Bosnie et Herzégovine, en République Démocratique du Congo, à Haïti, encore en République Démocratique du Congo, en Guinée Conakry, au Burundi puis au Cameroun.
Parlez-nous de votre expérience de travail. Quels sont les principaux résultats que vous pensez avoir enregistrés dans votre carrière professionnelle ?
Le travail de terrain n’est pas facile. J’ai toujours été sur le terrain car le travail y est fascinant. Cela m’a permis d’être en contact avec les victimes de violations des droits de l’homme et de travailler avec les détenteurs du pouvoir public. J’ai contribué a beaucoup de plaidoyers auprès des États pour la ratification des conventions internationales relatives aux droits de l’homme et j’ai aussi fait beaucoup de travail de promotion et de protection, entre autres, des visites inopinées des lieux de détention pour prévenir des cas de torture, de traitements cruels, inhumains et dégradants puis aussi pour prévenir des cas de disparition forcée puisque j’ai également travaillé dans des pays à conflits. Je suis satisfait parce que vous savez, le travail des droits de l’homme n’est pas comparable à celui de la construction d’un pont. Il est comme la pépinière d’un arbre fruitier qu’on plante aujourd’hui, on l’arrose et le temps qu’il grandisse et qu’il produise des fruits. Le travail des droits de l’homme consiste en l’amélioration progressivement de comportements en vue de susciter le changement de mentalité des détenteurs du pouvoir public et aussi des titulaires de ces doits, entre autres, les populations. J’ai été une fois surpris en République Démocratique du Congo (RDC) lorsque j’y suis revenu de Haïti comme Directeur adjoint, un journaliste m’a vu à la télévision nationale lors d’une activité, il est venu me voir au bureau pour me dire « monsieur, je vous dois ma vie sauve parce que vous m’aviez protégé lorsque j’étais menacé de mort par les rebelles au Nord-Kivu à cause de mon travail de journaliste. Vos collègues m’ont discrètement évacué à Lubumbashi où vous vous trouviez et avec votre assistance, j’ai pu prendre un avion des Nations Unies pour me rendre à Kinshasa et je suis venu vous témoigner toute ma gratitude ». J’avais oublié ce cas mais voilà un des fruits de protection des droits de l’homme.
Peut-on donc considérer ces deux histoires remarquables comme des moments mémorables de votre carrière ?
Il y en a d’autres. Je me rappelle bien d’un premier séminaire sur la promotion et la protection des droits de l’Homme à l’intention des conseillers de CNT (Conseil National de Transition), organe législatif au Rwanda après le génocide. Initialement le séminaire était destiné aux membre de la Commission des droits de l’homme du CNT, mais à la veille de l’ouverture dudit séminaire, tous les Conseillers ont décidé d’y participer. C’était vraiment un moment fort puisque le pays venait de sortir de génocide et les débats étaient houleux. Un autre moment fort, c’est lorsque j’étais en Bosnie et Herzégovine, je m’occupais des prisons au sein de notre bureau. J’ai trouvé à Mostar, à la partie majoritairement habitée par des croates, deux prisons. Une abritait des pensionnaires croates et bosniaques, une autre n’abritait que des pensionnaires serbes. Les conditions de détention dans la prison contenant des serbes étaient désastreuses et j’avais travaillé pendant plus de 6 mois environs pour la réunification de ces prisons et surtout pour la fermeture de la prison abritant les pensionnaires serbes. Ce fut une grande réalisation couronnée par une grande cérémonie allant dans le sens de la réconciliation nationale. J’ai été honoré et félicité pour ce travail.
L’autre temps fort, c’était aussi l’opération de destruction des cachots souterrains dans le district de l’Ituri en RDC qui était truffée de groupes armés qui n’avaient pas le temps de construire des lieux de détention et qui ne creusaient que des trous pour garder des individus. Avec l’appui des Casques bleus de la MONUC à l’époque, nous avons pris 3 mois pour les détruire. J’étais présent avec mon équipe, en gilets par balle durant les opérations car il était inacceptable de tolérer que des individus soient gardés dans des trous comme des souris. Il y a également eu une attaque armée pendant que je dirigeais une équipe d’enquête à Rakpa sur un cas d’enlèvement des femmes toujours en Ituri, où elles étaient utilisées comme esclaves sexuelles. Nous avons été encerclés par des miliciens qui ont tiré sur nous. Heureusement, mes collègues et moi n’étions pas tués ou blessés dans l’hélicoptère, mais les miliciens ont tué le commandant népalais qui assurait notre sécurité et blessé 5 autres casques bleus népalais. Enfin je pense aussi à mes collègues qui sont morts durant nos prestations. J’avais 5 collègues qui ont été égorgés au Rwanda, un britannique, un cambodgien et 03 collègues rwandais en 1997. Ils revenaient d’une mission de monitoring lorsqu’ils sont tombés dans une embuscade.
Parlez-nous de l’expérience la plus difficile et la plus stimulante que vous ayez jamais vécue au cours de votre longue carrière ?
La première expérience dont j’en parle souvent c’est lorsque j’étais à Kigali au Rwanda. Le Rapporteur Spécial pour les droits de l’homme au Rwanda, monsieur Michel Moussali, était en mission. L’Assistant qui était venu avec lui de Genève est tombé malade le soir de leur arrivée et notre Chef de Mission m’avait demandé d’accompagner le Rapporteur Spécial dans ses rencontres avec les autorités. Mon travail consistait à prendre des notes. Mais lorsqu’on devait rencontrer le Président Kagamé, à l’époque Vice-Président de la République, le Rapporteur Spécial m’a dit dans le véhicule de ne pas prendre des notes devant une autorité de cette envergure. On doit développer notre capacité d’écoute et après faire la synthèse des substances de l’entretien. Parce que si nous prenons des notes, disait-il, notre interlocuteur peut ne pas se sentir à l’aise et ne pourrait pas s’exprimer à cœur ouvert. Après deux heures d’entretien alors que le protocole n’avait prévu qu’une heure, nous sommes revenus au Bureau pour échanger sur les substances de l’entretien. C’était fabuleux et j’ai continué à pratiquer cette technique.
L’expérience la plus saillante, c’est lorsque j’étais en RDC, à Bunia en Ituri où il n’y avait plus l’autorité de l’État. Les groupes armés avaient pris le contrôle du district et aucun symbole de l’Etat était visible. La MONUC nous a déployé dans un premier temps en Ouganda, qui fait frontière avec cette région, pour pouvoir collecter toutes les informations et savoir ce qui se passait exactement en Ituri. C’était une mission spéciale que j’ai conduite pendant 03 semaines, cela nous a permis de connaître ces groupes armés ainsi que les méthodes de leurs opérations etc., puis après, nous sommes revenus à Kinshasa pour présenter le rapport de mission. La deuxième phase consistait en notre projection progressive à Bunia. Les casques bleus ont d’abord été déployés et nous les civils après. De manière rotative, on partait une deux semaines pour documenter tout ce qui se passait dans la région. Progressivement, avec une forte implication de la MONUC et surtout avec l’appui militaire de l’Union Européenne dont la France tenait le lead à travers l’opération ARTEMIS, les groupes armés ont quitté la ville de Bunia et la MONUC a assuré le retour progressif des autorités publiques de l’Etat, la sécurisation des édifices publics, la protection des magistrats etc ce qui avait rendu possible le déploiement des enquêteurs de la Cour Pénale Internationale. J’y suis resté 2 ans et demi.
Y a-t-il eu un moment où vous avez pensé à quitter votre emploi ?
Jamais. C’est un emploi difficile, mais prestigieux. Dans les Missions de maintien de paix, notre mandat est défini par le Conseil de Sécurité. Lorsqu’on travaille, on a le sentiment qu’on exécute un mandat qui nous est confié par l’instance qui gère les questions de paix et de sécurité dans le monde. J’ai aussi eu l’honneur d’être le Représentant du Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme avec les mêmes égards protocolaires que les Ambassadeurs. C’est une noble fonction, très diplomatique. A ce titre, je n’ai jamais pensé abandonner mon poste pour une raison ou pour une autre.
En rapport avec votre poste actuel, pouvez-vous faire un rapide bilan de la situation des droits de l’homme en Afrique Centrale ?
Chaque année, je présente deux fois la situation des droits de l’homme devant tous les représentants des 11 pays membres de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) lors de la session du Comité Consultatif permanent des Nations Unies sur la question de sécurité en Afrique Centrale. Nous avons la question du COVID qui a un impact sur la jouissance des droits de l’homme. Il y a certes des efforts fournis par des États pour prévenir la propagation de cette pandémie, mais il y a le problème d’acceptabilité des vaccins proposés. Il y a aussi en Afrique centrale, des questions de crise sécuritaire où on trouve des groupes armés dans nos États qui commettent de graves abus des droits de l’homme. Les Etats ne sont pas du reste. Ils commettent également des violations des droits de l’homme, entre autres, par des arrestations arbitraires, des atteintes au droit à la vie, à la liberté, à l’intégrité physique etc. On ne doit pas seulement mettre l’accent sur les droits civils et politiques, mais aussi sur les droits économiques, sociaux et culturels. On parle de temps en temps de ne laisser personne pour compte, notamment les groupes vulnérables. Je cite par exemple le cas des personnes handicapées dans la société qui ne jouissent pas de tous leurs droits fondamentaux, qui n’ont pas accès à tous les lieux publics où on ne prévoit pas des possibilités d’accès aux personnes à mobilité réduite. Les sourds qui n’ont pas non plus accès aux études supérieures. On ne peut pas dire que les droits de l’homme sont respectés à 100 % dans notre sous-région. Il y a d’énormes défis à relever. Encore aujourd’hui, on trouve des gens dans notre sous-région qui n’ont pas d’actes de naissance, cela peut leur poser un jour un problème de nationalité ou d’apatridie. Nous sommes dans une région où les États sont jeunes, beaucoup ont un peu plus de 60 ans d’indépendance et le travail des droits de l’homme est à faire avec résilience.
Qu’en est-il de la démocratie ?
La démocratie, c’est aussi un élément important dans notre sous-région. Il est vrai qu’il y a un instrument très important que l’Union Africaine avait proposé aux états, notamment la charte africaine de la démocratie, des élections et de gouvernance qu’on appelle la CADEG, qui est entrée en vigueur le 15 février 2012. Il y a 55 Etats membres de l’UA, dont 46 ont signé, 4 l’ont ratifié et 5 seulement en Afrique Centrale. Il s’agit du Rwanda, du Tchad, du Cameroun, de Sao Tomé et Principe et de la RCA. Cette charte demande aux Etats de respecter les droits de l’homme, promouvoir et consolider le respect de l’État de droit, promouvoir la tenue régulière des élections libres et transparentes par des organes nationaux indépendants et impartiaux chargés des élections, interdire, rejeter et condamner les comportements anticonstitutionnels des gouvernements, promouvoir la lutte contre la corruption, la participation des citoyens à la gouvernance, et la réédition des comptes dans la gestion de la chose publique. Promouvoir la parité et l’égalité. Et il y est dit que les États qui ratifient, doivent soumettre des rapports périodiques à la Commission de l’Union Africaine sur la façon dont ils mettent en application les dispositions de la charte. Mais aucun rapport n’a jamais été soumis. Mais dans la sous-région, je peux dire qu’il y a des acquis démocratiques. Il y a des cadres constitutionnels législatifs qui prévoient des élections, il y a des garanties de liberté, où on demande aux partis politiques de participer à l’exercice de ces élections et il y a beaucoup d’ONG qui observent des élections. Il y a des défis, entre autres, des abstentions, parce qu’il y a une crise de confiance. Parfois l’organe qui organise ces élections manque de crédibilité, la société civile tout comme l’opposition ont la liberté de dénoncer son impartialité. Mais on a aussi remarqué que durant les périodes électorales, les discours de haine prennent le dessus et sont la cause de beaucoup de violations des droits de l’homme. Le Centre des Nations Unies pour les Droits de l’Homme et la Démocratie en Afrique Centrale apprécie à sa juste valeur le rôle particulier de la société civile dans la contribution de la paix durant les élections à travers leurs observations et nous encourageons les États de la sous-région à beaucoup plus d’ouverture en faveur des valeurs démocratiques.
Des Camerounais ont récemment manifesté devant le siège des droits de l’homme à Genève contre les violations des droits de l’homme au Cameroun. Votre bureau vous a-t-il appelé à vous expliquez ?
Non. Nous sommes en contact ici au Cameroun avec les parties prenantes je voudrais dire le gouvernement, les institutions qui s’occupent des questions des droits de l’homme et la société civile et nous savons qu’il y a des problèmes dans les régions du Nord-Ouest, du Sud-Ouest et à l’Extrême-Nord avec Boko Haram. Le Cameroun, qui est membre du Conseil des Droits de l’Homme à Genève, donne aussi des explications sur ce qui se passe ici. La manifestation qui s’est passée à Genève, pour ma part, est un gris de détresse et aussi un appel à l’éveil de conscience sur tout ce qui se passe au Cameroun, puisque personne ne souhaite que cette crise sécuritaire dure. Elle cause autant de souffrances pour les personnes qui vivent dans les zones concernées, autant pour les forces de défense et de sécurité que pour les combattants. Cela n’honore pas tous ceux qui sont épris de paix et de justice. Nous souhaitons qu’à chaque fois qu’il y ait violation des droits de l’homme, que les auteurs puissent répondre de leurs actes, que ce soit du côté des combattants armés ou du côté des forces de défense et de sécurité.
Que pensez-vous de la situation des droits de l’homme dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest en particulier, ainsi que des régions septentrionales ?
La situation n’est pas bonne parce qu’il y a d’abord atteinte au droit à l’éducation car beaucoup d’écoles ont été incendiées, des propriétés tant privées que publiques ont été détruites et il y a des gens qui ont perdu leurs emplois, perdu leurs enfants, de part et d’autre, et aussi qui sont devenus des personnes déplacées vivant dans des conditions de fragilité. Il y a des responsabilités. Pour moi, il faut un cessez-le-feu, que les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest puissent retrouver leur sérénité, on doit parler de développement maintenant. Il y a un temps pour tout. Il y a un temps pour la guerre, il y a un temps pour la paix et il y a un temps pour le développement. Il y a une trilogie qui dit que, il n’y a pas de paix et développement, s’il n’y a pas respect des droits de l’homme. Cela est également valable pour la région de l’Extrême-Nord, où nous pensons qu’avec le plan d’action du Bassin du Lac Tchad, nous pourrons contribuer à la résolution de la crise de Boko Haram.
Auriez-vous des recommandations à faire aux États et à votre hiérarchie du HCDH sur la manière dont les droits de l’homme et la démocratie peuvent être respectés et renforcés ?
Aux États, je voudrais les encourager à ratifier davantage les conventions des droits de l’homme, mais aussi de les mettre en application, les rendre vivantes. Dans la sous-région, tous les États ont ratifié la convention sur le droit des personnes handicapées, sauf la Guinée Equatoriale et tous ces États ont des stratégies visant à améliorer la situation des personnes vivant avec un handicap, mais il faut que ce soit une réalité, il faut y mettre les moyens. J’encouragerais aussi les États de présenter régulièrement des rapports périodiques devant les organes de traités, pour expliquer les difficultés qu’ils connaissent pour mettre en œuvre telle ou telle convention. C’est là qu’ils peuvent bénéficier de coopération, ou bien de financement d’autres bailleurs de fonds pour les aider à améliorer la situation. Qu’ils réduisent également le coût de la fiscalité ou des impôts à payer pour toutes les entreprises privées qui emploieraient des personnes vivant avec un handicap, parce que ces personnes sont victimes de discrimination. Enfin, qu’ils mettent en œuvre, les recommandations qu’ils ont souverainement acceptées à l’issue de l’examen périodique universel à Genève, pour que les populations puissent bénéficier de la ratification des conventions.
À l’endroit de la hiérarchie au sein du HCDH, tous les bureaux qui travaillent dans la sous-région ont des plans d’action, et nous souhaitons avoir des moyens pour mettre en œuvre lesdits plans d’action. Je sais que le siège dépend beaucoup des contributions des États, mais je lui demande vraiment de continuer à mobiliser plus de ressources à mettre à la disposition de nos bureaux pour pouvoir aider les États à améliorer la situation des droits de l’homme.
Sur une sphère plus privée, comment avez-vous réussi tout ce temps à concilier travail et vie de famille ?
Ce n’était pas facile lorsque je partais pour ma première mission au Rwanda. Ma première fille avait 3 ans, aujourd’hui elle a 31 ans. Mais je peux vous dire que les Nations-Unies ont trouvé le moyen d’équilibrer mentalement les staffs dans les pays où on n’est pas autorisé à vivre en famille, les pays en conflits par exemple. Nous y avons la possibilité de bénéficier des jours de récupération qu’on appelle « Rest and Recuperation » - R&R, tous les deux mois, pour nous permettre d’aller à la maison. Et je ne les ai jamais loupés ! Mais dans d’autres pays, nous sommes autorisés d’y vivre en famille, par exemple en Guinée Conakry ou ici au Cameroun, ma famille est régulièrement là et mes enfants viennent souvent. Mais ce n’est pas suffisant, parce qu’il y a des évènements, par exemple les anniversaires des enfants qui aimeraient bien que papa soit là. Mais j’ai deux concessions : la rentrée scolaire et les fêtes de fin d’année. Je suis toujours avec la famille.
Avez-vous eu la sensation à un moment donné que vous étiez un mari et un père absent à cause de votre travail ?
Oui parfois, lorsque les enfants terminent leurs études, ils ont leurs diplômes, ils font la fête à la maison et papa n’est pas là, mais il est toujours au téléphone pour les encourager. On a bien envie d’une photo souvenir avec papa et maman à côté. J’en profite pour rendre hommage à mon épouse qui a parfois joué le rôle de papa et de maman, c’est elle qui est là pour gérer le quotidien.
Vous allez bientôt prendre votre retraite après 27 ans passés dans les droits de l’homme et la démocratie, pouvons-nous résumer cela comme une « mission accomplie » ?
Oui ! c’est une mission accomplie, je peux le dire. Au regard de mes évaluations parce que nous sommes évalués chaque année, nous avons le mandat et le plan de travail. C’est par rapport aux résultats que j’ai obtenus que mon premier contrat de 3 mois seulement a finalement été converti en contrat permanent jusqu’à ce que j’arrive à la retraite. C’est donc une récompense de travail accompli. Par ailleurs, nous n’avons pas un mandat exécutif, mais celui d’accompagnement des États. Notre tâche est de faciliter le changement et progressivement il se fait. Il est vrai que ce n’est pas facile, mais d’un point de vue personnel, je laisse plus de temps à mes collègues, si vous pouvez faire un sondage.
Vous prendrez votre retraite bien méritée le 31 mars 2022. Quelle suite ?
D’abord je vais rentrer à la maison me requinquer, m’occuper de moi-même. Ensuite, j’ai quelques voyages à effectuer surtout dans les pays où je suis passé, pour voir comment ils sont devenus après nous, voir les amis que j’ai laissés par-ci par-là. Il y en a qui ont donné mon nom à leurs enfants. Je ferai donc des tours au Rwanda, en RDC, au Burundi, Haïti, Herzégovine et en Guinée Conakry. Pour ne pas être trop détachée de la question des droits de l’homme, je compte bien animer quelques séminaires sur des thématiques des droits de l’homme dans des universités pour allier la pratique à la théorie universitaire. Je vais également m’occuper des quelques activités agraires. Je vous remercie.