La Commission d’enquête sur le Burundi s’alarme que la campagne électorale officielle pour l’élection présidentielle et les élections législatives...
Genève, 14 mai 2020 - La Commission d’enquête sur le Burundi s’alarme que la campagne électorale officielle pour l’élection présidentielle et les élections législatives et communales du 20 mai 2020, qui a démarré le 27 avril et qui doit se poursuivre jusqu’au 17 mai, soit marquée par un accroissement de l’intolérance politique et de nombreux actes de violence et violations des droits de l’homme. Les affrontements entre les membres des deux principaux partis politiques - le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), parti au pouvoir, et le Congrès national pour la liberté (CNL) - se multiplient en marge des rassemblements électoraux et de nombreux blessés et même des morts dans les deux camps sont à déplorer; des propos haineux et d’incitation à la violence contre des opposants politiques, principalement de la part de membres du CNDD-FDD, circulent librement ; un grand nombre de femmes et d’hommes membres du CNL, y compris des candidats aux élections législatives et communales, ont été arrêtés et détenus, alors que les proches du parti au pouvoir continuent de bénéficier d’une impunité quasi totale pour leurs agissements, y compris lorsqu’ils sont responsables d’actes violents.
Depuis plusieurs mois, sur la base de nombreux facteurs de risque analysés, la Commission a pourtant alerté les autorités burundaises et la communauté internationale sur les risques d’une telle aggravation de l’intolérance et de la violence politiques à la veille des élections. La Commission a notamment souligné que le rétrécissement de l’espace démocratique et les nombreuses violations des libertés publiques, telles que les libertés d’information, d’association et de réunion pacifique, constituaient des facteurs de risque importants dans le contexte électoral actuel.
Le manque d’indépendance et d’impartialité de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), officiellement garante du bon déroulement de ces élections, est de plus en plus préoccupant, notamment en raison des irrégularités alléguées dans la distribution des cartes d’électeurs et l’absence d’affichage des listes définitives d’électeurs.
L’instrumentalisation du système judiciaire contre les opposants au parti au pouvoir, l’absence d’observateurs électoraux indépendants et l’absence de confiance dans l’indépendance de la Cour constitutionnelle, principale voie de recours en cas de contestation des résultats électoraux, exacerbent la méfiance et les doutes de nombreux responsables politiques d’opposition et d’une partie de la population quant à la possibilité de fraudes électorales et donc à l’intégrité et la crédibilité du processus électoral.
La Commission est en conséquence préoccupée que dans de telles conditions, le déroulement du scrutin et/ou la proclamation des résultats officiels des élections prévue le 4 juin 2020, ne se révèlent être des facteurs déclencheurs d’un nouveau cycle de violence politique encore plus grave.
La Commission réitère donc son appel au Gouvernement du Burundi à enrayer immédiatement cette spirale de violence en prenant les mesures nécessaires pour rétablir la confiance de tous les Burundais dans la crédibilité du processus politique en cours, notamment en assurant le respect et la protection des libertés publiques. À cet effet, il faut également mettre fin à l’impunité dont bénéficient les auteurs de violations des droits de l’homme, notamment certains proches du parti au pouvoir avec un haut niveau des responsabilité, des Imbonerakure et des responsables administratifs locaux.
La Commission rappelle également que les responsables des partis politiques de tout bord ont la responsabilité de prévenir les actes de violence et doivent redoubler d’efforts afin de résoudre pacifiquement les tensions à l’approche et à l’issue des élections. A défaut, ils doivent être conscients qu’ils peuvent être tenus pénalement responsables de leurs actions ainsi que dans certaines circonstances, de celles de leurs militants.
En conséquence, la Commission invite toutes les juridictions compétentes, y compris en dehors du système judiciaire burundais, à considérer l’ouverture de poursuites pénales contre les principaux responsables de violations graves et massives des droits de l’homme qui pourraient être commises dans le cadre du processus électoral en cours.
Par ailleurs, la Commission exhorte tous les partis politiques à cesser d’utiliser des enfants à des fins de propagande électorale et de s’assurer que les droits de l’enfant soient respectés et protégés tout au long du processus électoral.
La Commission prend note avec préoccupation de la décision des autorités burundaises de ne pas faire appliquer les recommandations de distanciation sociale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour empêcher la propagation du coronavirus lors de la campagne électorale, alors que des milliers de personnes se côtoient chaque jour dans les rassemblements politiques. La décision du Gouvernement burundais du 12 mai 2020 de déclarer persona non grata le Représentant de l’OMS dans le pays et trois de ses fonctionnaires, et leur ordonner de quitter le Burundi avant le 15 mai, est particulièrement regrettable dans les circonstances présentes. À cet égard, la Commission rappelle sa déclaration récente au sujet de la pandémie de COVID-19 et réitère que la transparence, le respect des standards internationaux et l’aide humanitaire sont indispensables pour la combattre.
La Commission souligne enfin que les élections du 20 mai 2020 ne pourront ouvrir une nouvelle ère de stabilité au Burundi que si le processus électoral est géré de manière pacifique et sécurisée, en toute transparence et indépendance afin que les résultats puissent être considérés comme crédibles et acceptés de tous. En conséquence, la Commission réitère son appel à la communauté internationale de rester vigilante à la situation des droits de l’homme dans le contexte électoral au Burundi.